Souhaitant adopter « une stratégie pionnière (…) en matière d’innovation financière et de finance digitale », la France a autorisé, par deux ordonnances prises le 28 avril 2016 et le 9 décembre 2017, le recours, dans certains cas, à des « dispositifs d’enregistrement électronique partagé (DEEP) », c’est à dire, des « blockchains », pour l’inscription et l’enregistrement des opérations relatives aux minibons et aux titres financiers non côtés.
Le Gouvernement français considère que le terme « DEEP » recouvre les principales caractéristiques de la technologie dite de « blockchain », à savoir, selon ce dernier, « sa vocation de registre et son caractère partagé » mais que le terme demeure « large et neutre à l’égard des différents procédés afin de ne pas exclure des développements technologiques ultérieurs ».
La mise en œuvre des ordonnances précitées nécessite la publication des décrets d’application.
En effet, l’ordonnance du 28 avril 2016 permet l’inscription de l’émission et de la cession des minibons dans un DEEP « dans des conditions, notamment de sécurité, définies par décret en Conseil d’Etat ».
Quant à l’ordonnance du 9 décembre 2017, celle-ci permet l’inscription, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, des titres financiers non côtés dans un DEEP « présentant des garanties, notamment en matière d’authentification, au moins équivalentes à celles présentées par une inscription en compte-titres ».
Etant donné que les dispositions de l’ordonnance du 9 décembre 2017 entrent en vigueur « à la publication du décret (…) et, au plus tard, le 1er juillet 2018 » la France va bientôt publier les décrets qui préciseront, de manière concrète, ce qu’elle entend par le terme « DEEP ».
En fonction de la réglementation adoptée :
– soit le terme « DEEP », bien qu’employé pour désigner la technologie dite de « blockchain », ne serait en réalité qu’un synonyme du terme « base de données » ;
– soit le terme « DEEP » désignerait une base de données dont la copie intégrale et à jour est détenue par plusieurs acteurs, et dont le caractère immuable est la conséquence d’un algorithme qui d’une part, instaure un système d’incitations nécessaire à la maintenance, par des adversaires, de la même historique des données et d’autre part, rend prohibitif le coût de l’altération de ces données.
Si le terme « blockchain » était initialement censé correspondre à cette dernière hypothèse, l’expérience démontre que cette hypothèse ne couvre pas l’ensemble des prétendues blockchains créées depuis 2009 mais uniquement des blockchains publiques à vocation monétaire, dont notamment le bitcoin.
Or, de nombreux gouvernements nationaux ne cessent de faire l’éloge du potentiel que présenterait la technologie dite de blockchain, tout en critiquant des monnaies virtuelles, lesquelles sont, à ce jour, les seules applications réussites de cette technologie.
Que choisira la France ? A moins qu’elle ne définisse ex nihilo les paramètres techniques d’une véritable blockchain opérationnelle n’ayant aucune vocation monétaire, une réglementation qui refuserait de reconnaître comme des DEEPs des blockchains publiques tels que le bitcoin n’aurait pour effet que d’intégrer au droit français une catégorie spéciale de bases de données, destinées aux traitement des minibons et des titres financiers non côtés. Une telle réglementation, qui ne permettrait pas de tirer les avantages liés à l’utilisation d’une véritable blockchain, serait vouée à l’échec.
Une telle approche serait d’autant plus décevante que la France est un pays pionnier dans le domaine des blockchains publiques à vocation monétaire et compte des acteurs économiques de premier plan, dont notamment le fabricant de matériel Ledger.
De toute façon, la tâche du Gouvernement n’est pas aisée. Outre les conditions techniques relatives à l’enregistrement, au moyen d’une technologie peu mature, des opérations relatives aux minibons et aux titres financiers, le décret devra également préciser les modalités de nantissement des titres financiers inscrits dans un DEEP, ce qui pourrait impliquer l’intervention d’un tiers de confiance ou la mise en place des modalités d’authentification complexes dans le cadre des opérations envisagées par l’ordonnance du 9 décembre 2017.
[…] Translated from the original in French. […]